Histoire(s) de foot : le jour où le football est devenu professionnel

L’équipe des Old Etonians en 1879 (retenez bien le visage du 3e joueur assis à gauche).

Au début de son histoire, sous l’ère Victorienne, le football était un simple loisir pour gentlemen anglais. Mais des équipes ouvrières vont imposer le professionnalisme, par nécessité et à contre-courant des instances tenues par les aristocrates.

31 mars 1883. Au Kennington Oval de Londres (un stade de cricket), 8000 spectateurs s’apprêtent à assister à la finale de la 12e édition de la Coupe d’Angleterre de football (la “FA Cup”). Pour la deuxième fois de l’histoire de la compétition, le match oppose un club ouvrier venu du nord, le Blackburn Olympic, à une équipe issue de la bourgeoisie londonienne, les Old Etonians.

Depuis sa création en effet, les phases finales de la FA Cup se jouent quasi-exclusivement entre des équipes issues des grandes écoles de Londres : Eton, Oxford ou les Royal Engineers, pour ne citer que les plus célèbres.
Les Old Etonians (composés d’anciens du très prestigieux collège d’Eton) sont évidemment favoris, tenants du titre, avec cinq participations à la finale, dont deux victoires.

Mais le Blackburn Olympic a discrètement commencé de professionnaliser le football. Les meilleurs joueurs sont rachetés à d’autres clubs, des salaires sont versés pour les heures de travail manquées à l’usine… Quelques jours avant la finale, l’entraîneur-joueur de l’équipe décide ainsi d’emmener tout le monde à Blackpool, une station balnéaire sur la mer d’Irlande située à une heure de train, pour un stage de préparation. C’est la première fois qu’une équipe entreprend une telle action, considérée comme révolutionnaire.

L’équipe du Blackburn Olympic en 1883 (spoiler sur la photo).

Sur l’Oval, la finale commence à l’avantage des favoris : les Etonians ouvrent la marque et mènent 1-0 à la mi-temps. L’Olympic revient au score en seconde période, et les 90 minutes se terminent sur un score de parité. Le règlement prévoit alors que l’arbitre peut décider de faire rejouer le match une semaine plus tard (ce qui avait été le cas de la finale 1876) ou de faire jouer 30 minutes de prolongations. Devant la ferveur populaire, et avec l’insistance des deux capitaines, c’est ce deuxième choix qui est retenu.

Le capitaine des Old Etonians est Lord Arthur Fitzgerald Kinnaird, un personnage qui mérite qu’on s’y attarde quelques instants. Ancien élève d’Eton (évidemment), il est directeur de la banque familiale (la Barclays Bank, l’une des cinq plus grandes banques britanniques aujourd’hui).
Mais il est aussi la première superstar du football, jouant neuf finales de la FA Cup dans sa carrière (record invaincu), comme gardien de but ou attaquant. Très rude sur le terrain, tacleur virulent et spécialiste des coups d’épaule, il est aussi l’auteur du premier but contre camp, en retombant balle en main à l’intérieur de ses cages lors de la finale de 1877 (but qu’il a fait annuler, étant par ailleurs membre du conseil de la fédération !). Un portrait que n’aurait pas renié notre président-gardien de l’USC ;)

Le banquier Arthur Kinnaird (à droite), bien après sa carrière de footballeur.

Mais retour au match de 1883. Réduits à 10 sur blessure, les anciens élèves d’Eton souffrent face aux ouvriers de Blackburn, qui imposent leur supériorité physique. Le dénouement se joue à la 110e minute, quand le n°11 de l’Olympic trouve son n°10 qui frappe et crucifie le gardien gentleman. Quelques minutes plus tard, le Blackburn Olympic est le premier club ouvrier à remporter la finale de la FA Cup.

Le retour à Blackburn est triomphal, même si la presse de Londres commence à émettre des doutes sur le caractère “amateur” du club vainqueur. Comment des ouvriers qui gagnent à peine de quoi nourrir leur famille peuvent passer autant de temps à jouer au football, jusqu’à partir plusieurs jours en stage avant le match ?
Derrière cet “idéal amateur”, il y a surtout la peur qu’un sport codifié par l’aristocratie devienne celui du plus grand nombre. “Je ne peux pas considérer le football comme un sport de gentlemen ; après tout, le petit peuple du Yorkshire y joue”, a écrit un ancien d’Eton…

Le film du match, dans la presse de l’époque.

Le professionnalisme sera finalement autorisé deux ans plus tard, en 1885. Bien qu’aucune sanction n’ait été prononcée à l’époque, on considère aujourd’hui le Blackburn Olympic comme l’inventeur du football professionnel.

Pendant le confinement (et pour améliorer son anglais), regardez “The English Game” en ce moment sur Netflix, qui s’inspire de cette histoire. Et pour creuser le personnage à part d’Arthur Kinnaird, rendez-vous sur le portrait que lui a consacré le site demivolee.com.

1 réponse

  1. CANARI dit :

    Bonjour à vous,

    J’avais devancé l’appel et je l’ai regardé la semaine dernière.
    Film diffusé en 6 parties et vraiment très intéressant.
    A regarder sans modération